Les études menées pendant et après le confinement auprès des populations fragiles les plus concernées par le coronavirus posent d’étonnants constats quant à leur perception de la crise. Ils doivent nous mettre en garde contre la facilité d’une approche « incapacitante » autant que nous alerter sur l’opportunité de nous inspirer de leur expérience pour gagner en résilience collective.
En développant le concept de « bien(sur)veillance », la philosophe Cynthia Fleury aura su mettre un mot sur un malaise diffus touchant à la prise en charge des personnes malades et plus largement âgées et fragiles durant la crise sanitaire que nous venons de vivre. Il dit l’intention – louable – de protéger ceux que le virus menaçait principalement, autant que les errements parfois contreproductifs auxquels peut conduire le systématisme d’une telle démarche.
Il témoigne aussi du lien subtil qui unit les « réputés bien portants » et ceux qui, du fait de leur âge ou de leur maladie, sont l’objet d’une attention toujours décuplée. Il y a là une forme de relation du fort au faible certes classique, mais qui dans le cas présent semble ne plus opérer. De nombreux résultats d’études – dont certaines auxquelles nous avons collaboré – semblent en attester : l’observation de publics tels que par exemple les patients atteints de cancer ou des personnes âgées de plus de 65 ans, témoigne d’un renversement rhétorique où le plus fragile face à la crise n’est finalement pas celui que l’on croit.
Parmi ces populations largement représentatives de la société française en termes volumétriques autant que symboliques, on observe en effet un degré de crainte vis-à-vis du virus significativement moins élevé que dans le reste de l’’opinion – un écart de 10 points notamment dans le cadre du cancer et une propension à être davantage confiant au fur et à mesure que l’on avance en âge pour les seniors. Des tendances que l’on retrouve d’ailleurs à grosse masses s’agissant du vécu du confinement où la préoccupation centrale tenait nettement moins de leur propre santé que de celle de leur proches et plus largement de la privation de vie sociale dont ils ont été les premières victimes.
Ces études – qui, rappelons-le ici, portent sur des échantillons robustes de répondants – pourraient nous inviter à décentrer notre point de vue sur la fragilité en la considérant comme autre chose qu’une défaillance dont nous serions collectivement responsables. De fait, en ayant depuis longtemps fait l’expérience de l’incertitude – et pour certains d’une forme de hiérarchisation des renoncements – ces personnes malades ou âgées semblent avoir acquis une expérience particulièrement utile dans la gestion de ce type de situation.
Si, comme le soulignait récemment Jean-Marc Jancovici « nous allons vers un monde où nous aurons moins de moyens pour plus de problèmes », sans doute serions-nous bien inspirés d’apprendre à tirer parti de ce savoir-faire unique. Apprendre à mieux exploiter des potentiels encore trop souvent tenus en jachère amènerait immanquablement à porter un nouveau regard sur eux et avec lui à des pratiques contemporaines qui cessent de les enfermer dans la commodité du rôle de victime.