Une fois de plus, le pays est en haleine, attendant de savoir ce que le chef de l'Etat aura décidé en dernier ressort, afin de faire face à la nouvelle flambée épidémique. Sachant que le principal problème n'est plus de savoir quelles mesures seraient efficaces pour la contenir et la faire refluer (le confinement est quasiment la seule option en réalité), mais quelles mesures seraient acceptables, plus d'un an après le début de cette crise sanitaire qui n'en finit plus. Et le confinement, encore lui, est en top position des mesures... innacceptables. La brutale et quasi immédiate reculade d'Angela Merkel, obligée d'annuler des mesures de confinement strictes pour Pâques 48 heures après les avoir annoncées, a probablement sonné la fin de l'Etat tout puissant pour les démocraties occidentales.
Car si la solution d'un nouveau confinement, troisième du nom, (différent du premier sans doute, mais encore plus évidemment différent du second, trop laxiste), est celle qui donnerait le plus de résultats rapides et concrets en théorie, dans la pratique, c'est tout simplement... l'autorité de l'Etat qui est en jeu aujourd'hui.
Nous sommes en effet arrivés à un tournant de l'histoire politique de notre pays, sachant que la situation est totalement inédite. Bien entendu, la France a connu bien des crises, des guerres, des jacqueries des sécessions et des trahisons. Mais au final, du moins, sur le territoire national, soit, elles ont été matées, soit, un compromis a été trouvé, soit elles se sont essouflées et éteintes d'elle-même. Ou bien, elles ont changé la done politique.
L'épisode des gilets jaunes, qui semble bien lointain aujourd'hui, était l'une de ces vraies crises. Elle aurait pu faire basculer le pays dans la zizanie la plus complète. La rébellion des gilets jaunes, et pas seulement à Paris mais dans plusieurs préfectures, a montré à quel point l'autorité de l'Etat était finalement faible, assise sur un contrat social que quelques centaines de milliers de personnes, "soutenues moralement" par quelques millions d'autres, peuvent aisément faire vaciller.
Si le mouvement de contestation des gilets jaunes s'était déclenché non pas en plein hiver, mais au début de l'été - comme bien des révolutions dans l'histoire de France - le gouvernement aurait pu tomber. Et peut-être, tout le système avec ?
Macron annoncera t-il un troisième confinement, au risque d'être désobéi ?
Autant dire que la décision d'annoncer un troisième confinement n'est pas qu'une mesure sanitaire parmi tant d'autres. C'est d'abord et avant tout un pari : le pouvoir exécutif est-il encore capable de se faire obéir ? Sachant qu'avec l'état d'urgence, il est seul à assumer la responsabilité de la décision ! La promesse d'une annonce du Premier ministre devant les chambres, jeudi 1er avril (sans commentaire) suiive d'un "débat", ne trompe évidemment personne, puisque la décision aura déjà été prise. Les présidents de groupe (y compris celui du parti présidentiel ?) auront beau jeu de dire qu'ils sont relégués au rang de figurants, ou de chambre d'enregistrement.
Soyons encore plus clairs et concrets : quel est l'enjeu ? Si les Français refusent de se soumettre à un confinement strict, c'est à dire, qu'ils sortent de chez eux avec ou sans bonnes raisons, qu'ils franchissent les "frontières" des régions confinées au mépris des menaces de sanction de Gérald Darmanin, alors, en un rien de temps, l'intégralité de l'autorité de l'Etat s'effondrera. En quelques semaines ou quelques mois.
Cela veut dire que des milions ou des dizaines de milions de citoyens français ne se mettront plus la rate au court bouillon en recevant une lettre ou un recommandé de l'administration exigeant l'envoi d'un papier, ou l'accomplissement d'une démarche administratrive. Que ceux qui veulent construire une cabane au fond de leur jardin, ou une extension à leur maison pour recevoir leurs petits enfants en vacances, ne se donneront plus la peine de déposer une déclaration de travaux ou une demande de permis de construire. Que les huissiers n'oseront plus sonner aux portes pour réclamer une dette ou transmettre un avis d'expulsion. Que le harcélement (pour ne pas dire bordel) administratif auquel tout entrepreneur, agriculteur, artisan, est soumis au quotidien, a de fortes chances de partir avec l'eau du bain.
Certes, la puissance publique, l'autorité administrarive, disposera encore de moyens informatiques pour contraindre le citoyen, essentiellement en frappant au porte-monnaie, avec les ATD (avis à tiers détenteur) transmis aux très dociles banques. Mais elle ne devra plus compter sur la "complicité" de l'autorité judiciaire, dont les tribunaux sont encombrés comme jamais. En matière d'infractions routières, les tribunaux de police examinent en ce moment des affaires datant de 2017 ou 2018 ! Autant dire que celui qui refusera de se soumettre à une sanction administrative aujourd'hui, n'est pas prêt de passer devant un juge demain, ou même après-demain.
Par ailleurs la contrainte par corps, désormais remplacée par la contrainte financière, n'a aucune efficacité sur des citoyens ou des entreprises qui n'ont plus le sou, dont les comptes sont en permanence dans le rouge. A ce titre, la menace brandie par Bruno Lemaire à l'encontre des restaurateurs, et plus largement, de tous les commerçants tentés de violer les mesures de fermetures administratives, "vous ne recevrez aucune aide", est absolument pathétique. Surtout quand on voit à quel point le calibrage des aides, et l'instruction des dossiers de demande, est tout bonnement merdique, il n'y a pas d'autre mot.
6000 € d'aides pour les stocks d'invendus... qui en valent dix ou vingt fois plus
Le fou rire (nerveux) du jour pour des milliers de commerçants a été déclenché par la promesse d'une aide de 6000 € en moyenne, pour "compenser le manque à gagner" des milliards d'euros de marchandises en stock, chez les commerçants interdit d'exercer leur métier. Quand on sait qu'un magasin de chaussures moyen, ou encore de vêtements, rentre au bas mot 100 000 euros de marchandises par saison, on se pince en lisant que l'aide moyenne sera donc de 6000 €, plafonnés à 8 000 € !
La suite de l'histoire est d'ores et déjà connue des experts-comptables. Dans la plupart des cabinets, les clients aux abois annoncent qu'à la réouverture, et pendant plusieurs mois ou années, ils ne retrouveront pas le niveau de chiffre d'affaires d'avant la crise. Et que pour cela, les paiements en carte bleue seront découragés, pour ne pas dire tout simplement interdits. Ces machines là tombent tout le temps en panne...
Rares seront les clients à ne pas jouer le jeu, parfaitement conscients de l'injustice criante dont les commerçants auront été victimes pendant ces mois de fermeture. Le distributeur de billets n'est pas loin. Cash pas mort.
Aujourd'hui, Bercy pleure parce que le soutien aux entreprises lui coûte plus de 7 milliards d'euros par mois. Demain, Bercy pleurera de voir les recettes fiscales, (essentiellement la TVA), s'effondrer. En 2019, l'Etat a collecté 186 milliards d'euros de TVA. Evidemment, 2020 et 2021 ne pourront pas servir de référentiel. Alors, combien collectera-t-on de TVA en France en 2022, si tant est que la crise sanitaire est derrière nous ? Il ne faut pas oublier que la TVA est le premier impôt en valeur : il représente 44 % du total des taxes collectées par l'Etat. C'est d'abord là que les citoyens vont frapper, pardon, se rattraper demain. On fait fifti-fifti ?
Mais encore une fois, le sujet n'est pas que financier et fiscal, même si l'Argent avec un grand A (autrement appelé pauvreté / faim / inégalités) est à la base de bien des crises.
Reconfiner la France en avril, à un an des élections présidentielles, est donc tout, sauf une décision anodine pour Emmanuel Macron.