Depuis plusieurs années, les violences conjugales sont de plus en plus dénoncées, notamment sous l’impulsion du mouvement MeToo. L’augmentation du nombre de plaintes reflète une prise de conscience collective, mais aussi une meilleure reconnaissance de la souffrance des victimes. Pourtant, au-delà des enjeux judiciaires, ces violences constituent un problème majeur de santé publique. Elles entraînent des conséquences physiques et psychologiques profondes, souvent sous-estimées, qui nécessitent une prise en charge spécifique.
Violences conjugales : comment protéger les victimes ?

Les répercussions des violences conjugales ne s’arrêtent pas aux blessures visibles. Elles affectent durablement la santé des victimes, augmentent le risque de maladies chroniques et compromettent leur bien-être psychologique. Pourtant, les structures de soin restent insuffisamment adaptées à ces problématiques, et la prise en charge des victimes est encore largement perfectible.
Des conséquences physiques souvent sous-évaluées
Les violences conjugales se manifestent fréquemment par des agressions physiques, qui laissent des séquelles immédiates et à long terme. Les blessures les plus courantes incluent des hématomes, des fractures, des contusions, des plaies et des brûlures. Ces lésions peuvent entraîner des complications graves si elles ne sont pas correctement prises en charge.
Certaines victimes souffrent également de traumatismes crâniens répétés, augmentant le risque de séquelles neurologiques telles que des troubles de la mémoire, des maux de tête chroniques ou des troubles de la coordination. Des études ont mis en évidence un lien entre les violences répétées et le développement de maladies cardiovasculaires, notamment en raison du stress chronique qu’elles engendrent.
L’impact des violences ne se limite pas aux lésions visibles. Elles ont aussi des effets sur la santé reproductive des femmes. De nombreuses victimes rapportent des douleurs gynécologiques chroniques, des infections sexuellement transmissibles contractées sous la contrainte, ainsi que des grossesses non désirées résultant de violences sexuelles. Dans certains cas, des complications obstétricales surviennent, avec un risque accru de fausses couches, de prématurité et de retard de croissance intra-utérin chez le fœtus.
Des répercussions psychologiques majeures et durables
Les violences conjugales ne laissent pas seulement des marques physiques ; elles ont un impact profond sur la santé mentale des victimes. Le stress post-traumatique est l’une des conséquences les plus fréquentes. Il se traduit par des flashbacks, des cauchemars, un état d’alerte permanent et une hypervigilance qui empêchent les victimes de retrouver une vie normale.
L’anxiété et la dépression sont également très répandues chez les personnes ayant subi des violences. Elles se manifestent par une perte d’intérêt pour les activités quotidiennes, une fatigue intense, une baisse de l’estime de soi et parfois des idées suicidaires. L’exposition prolongée aux violences peut également entraîner des troubles alimentaires et des addictions (alcool, médicaments, drogues) comme mécanisme de compensation face à la détresse psychologique.
Certaines victimes développent des troubles dissociatifs, un mécanisme de défense inconscient qui leur permet de « déconnecter » de la réalité pour survivre aux agressions répétées. Ce phénomène peut aller jusqu’à des épisodes d’amnésie, où les victimes ne se souviennent plus précisément des violences subies, rendant encore plus difficile leur prise en charge thérapeutique et judiciaire.
Une prise en charge encore insuffisante dans les structures de santé
Malgré les conséquences majeures des violences conjugales sur la santé, leur dépistage et leur prise en charge dans le système de soins restent largement insuffisants. De nombreux professionnels de santé ne sont pas suffisamment formés pour identifier les signes de violences et orienter les victimes vers les structures adaptées. Les consultations médicales sont souvent trop courtes pour permettre aux patientes d’évoquer des violences, d’autant plus lorsqu’elles sont accompagnées de leur agresseur.
Les services d’urgence reçoivent régulièrement des victimes de violences conjugales, mais les signalements restent rares. Un manque de coordination entre les professionnels de santé, la justice, les travailleurs sociaux et les forces de l’ordre empêche une prise en charge globale et efficace. Les hôpitaux devraient mettre en place des protocoles de dépistage systématique et renforcer les dispositifs d’accueil sécurisés pour permettre aux victimes de témoigner en toute confiance.
La prise en charge psychologique est également insuffisante. Il existe encore trop peu de centres spécialisés dans l’accompagnement des victimes, et les délais pour obtenir un rendez-vous avec un psychologue ou un psychiatre restent longs, ce qui ralentit la reconstruction psychologique des survivantes.
Une justice défaillante qui met en danger les victimes
Les violences conjugales ne sont pas seulement une question de santé publique ; elles sont avant tout un problème judiciaire majeur. Avant de demander au système de santé de mieux prendre en charge les victimes, il serait urgent que la justice remplisse enfin son rôle en assurant une véritable protection. Aujourd’hui, les victimes osent davantage parler, mais elles ne trouvent pas face à elles un système judiciaire capable de les accompagner efficacement.
En 2023, 43 % des plaintes pour violences conjugales ont été classées sans suite, souvent faute de preuves ou par prescription. Pire encore, lorsqu’une affaire aboutit à une condamnation, seulement 30 % des agresseurs sont condamnés à une peine de prison ferme, les autres bénéficiant de peines aménageables ou de sursis. Face à cette impunité quasi institutionnalisée, il n’est pas surprenant que de nombreuses victimes renoncent à porter plainte ou se retrouvent à subir les violences pendant des années avant de tenter d’en sortir.
L’État appelle les femmes à dénoncer leurs agresseurs, mais que leur propose-t-il ensuite ? Les dispositifs de protection sont largement insuffisants, et les ordonnances de protection, censées éloigner les conjoints violents, ne sont ni systématiques ni réellement contraignantes. La plupart des femmes en danger ne bénéficient d’aucune mesure efficace pour assurer leur sécurité après avoir dénoncé les violences subies.
Une approche de santé publique qui ne peut exister sans une justice efficace
Renforcer la formation des professionnels de santé au repérage des violences et améliorer l’accès aux soins psychologiques sont des objectifs nécessaires. Mais ils ne peuvent avoir d’impact réel tant que les victimes ne sont pas sécurisées en amont par une prise en charge judiciaire rapide et efficace. Sans une justice ferme et réactive, les victimes continueront à vivre dans la peur, et les récidives se multiplieront.
Les violences conjugales doivent être considérées comme une urgence judiciaire avant d’être un enjeu de santé publique. Tant que la justice n’assumera pas pleinement son rôle, aucune politique de soins, aussi performante soit-elle, ne pourra endiguer la souffrance des victimes ni empêcher de nouveaux drames. La priorité doit être de garantir à ces femmes une protection immédiate et des sanctions pénales dissuasives pour les agresseurs.