Les moustiques n’ont qu’à bien se tenir. Et si le simple fait de se nourrir de votre sang suffisait à les tuer ? Des chercheurs ont trouvé un moyen de rendre le sang humain toxique pour les moustiques. Et tout commence avec une molécule déjà connue du monde médical.
Un médicament transforme votre sang en piège mortel pour les moustiques

Quand un médicament pour maladie rare devient une arme contre les moustiques
Le 26 mars 2025, une équipe de recherche de l’université de Notre-Dame (États-Unis) publie une étude dans la revue Science Translational Medicine. À première vue, rien d’exceptionnel. La molécule étudiée, la nitisinone, est utilisée depuis des années pour traiter des maladies métaboliques héréditaires rares comme l’alcaptonurie ou la tyrosinémie de type 1.
Mais voilà, injectée à un humain, cette molécule reste présente dans le sang à des doses thérapeutiques standards. Et si un moustique vient à s’en repaître, il meurt. Tous les moustiques testés dans l’étude, y compris les espèces résistantes aux insecticides, sont morts dans les 24 heures après avoir ingéré du sang contenant de la nitisinone. D’où vient cet effet létal ? La nitisinone inhibe une enzyme clé, la 4-hydroxyphénylpyruvate dioxygénase (HPPD), indispensable à la digestion des acides aminés comme la tyrosine. Résultat : le moustique, incapable de métaboliser le sang qu’il a absorbé, succombe rapidement à un stress oxydatif généralisé.
Moustiques, sang et digestion : la faiblesse exploitée
Le moustique n’est pas seulement un vecteur de maladies, c’est aussi un prédateur hyper-spécialisé du sang. Les femelles, en particulier, ont besoin de ce fluide vital pour produire leurs œufs. Ce repas, pourtant essentiel, pourrait devenir leur arrêt de mort. Dans une autre étude, cette fois publiée en prépublication sur le site bioRxiv le 2 février 2025, des chercheurs britanniques et américains démontrent que le simple contact cuticulaire avec une surface imprégnée de nitisinone suffit à tuer les moustiques, à condition qu’ils aient récemment pris un repas sanguin.
Mieux encore : « Nous démontrons que la nitisinone tue les moustiques résistants à plusieurs classes d’insecticides, sans perte d’efficacité », écrivent les auteurs sur bioRxiv. La molécule agit en contournant les mécanismes classiques de résistance, qui reposent souvent sur l’épaississement de la cuticule ou la surproduction d’enzymes détoxifiantes.
Une alternative crédible à l’ivermectine et aux insecticides classiques
Jusqu’ici, la piste médicamenteuse la plus prometteuse contre le moustique était l’ivermectine, administrée à l’humain pour empoisonner indirectement l’insecte piqueur. Mais ce traitement présente plusieurs limites : effets secondaires potentiels, fenêtre d’efficacité courte (dix jours), et surtout efficacité réduite sur certaines espèces. La nitisinone, elle, agit jusqu’à seize jours après ingestion, selon les résultats de l’étude de Notre-Dame.
Elle est déjà autorisée dans plusieurs pays pour des usages médicaux, ce qui facilite sa possible redirection vers la lutte vectorielle. « Le traitement est bien toléré et son profil pharmacologique est compatible avec une action prolongée contre les moustiques », précisent les auteurs dans Science Translational Medicine. Ajoutons que l’étude modélise l’effet de la nitisinone en usage de masse : les simulations montrent une réduction importante de la transmission du paludisme, y compris dans des régions où les moustiques ont développé des résistances à plusieurs traitements.
Faut-il pour autant se précipiter et intégrer la nitisinone dans les campagnes anti-moustiques ? Rien n’est moins sûr. L’utilisation massive d’un médicament chez des individus sains, uniquement dans le but de tuer les moustiques, suscite forcément des débats. Des essais cliniques devront déterminer s’il est éthique et sans risque d’administrer ce traitement à large échelle à des populations non malades. Et si l'on souhaite imprégner des moustiquaires avec la molécule, il faudra aussi vérifier sa stabilité et son innocuité sur la durée.