Alors que les dépenses de santé continuent de croître plus vite que les ressources disponibles, les organismes complémentaires souhaitent revoir certaines modalités de prise en charge. En première ligne, les lunettes et les audioprothèses, mais aussi le cadre général du contrat responsable.
Lunettes, prothèses auditives… pourquoi vont-elles vous coûter plus cher ?

Le 11 avril 2025, la Mutualité Française a présenté une série de propositions visant à mieux maîtriser l’évolution des dépenses prises en charge par les complémentaires santé, dans un entretien aux "Echos". Ce projet, qui concerne notamment les dispositifs optiques (lunettes) et auditifs, s’inscrit dans un contexte de forte tension économique pour l’ensemble du système de soins. Objectif affiché : garantir la soutenabilité des couvertures sans compromettre l’accès aux soins essentiels.
Une volonté d’adapter les remboursements aux usages réels
La principale mesure envisagée porte sur l’espacement des délais de remboursement pour certains équipements. Il s’agirait de passer de deux à trois ans pour les lunettes, et de quatre à cinq ans pour les audioprothèses. Ces changements ne remettraient pas en cause la prise en charge, mais viseraient à mieux l’adapter à la durée de vie effective de ces produits.
Selon les représentants de la Mutualité Française, cette révision permettrait de limiter les effets d’une consommation perçue comme automatique, parfois déconnectée des besoins médicaux réels. En responsabilisant les rythmes de renouvellement, les mutuelles espèrent contribuer à une utilisation plus rationnelle des ressources, tout en continuant à accompagner les assurés dans les parcours de soins.
Repenser le périmètre des garanties pour préserver l’essentiel
Au-delà des équipements, le débat s’élargit au contenu du contrat responsable, qui fixe aujourd’hui un certain nombre d’obligations de remboursement pour les complémentaires santé bénéficiant d’avantages fiscaux. Les acteurs mutualistes proposent d’en redéfinir les contours afin de mieux concentrer les efforts sur les soins dits « essentiels ».
Cette redéfinition pourrait conduire à revoir à la baisse certains niveaux de remboursement, notamment pour les montures de lunettes, aujourd’hui plafonnés à 100 euros. L’objectif de cette démarche est double : alléger les contraintes qui pèsent sur les organismes complémentaires, tout en limitant les hausses de cotisation pour les assurés.
Une réponse à une dynamique structurelle de hausse des dépenses
Entre 2019 et 2023, les dépenses courantes de santé ont progressé de 20 % en France, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Elles représentent aujourd’hui 11,5 % du produit intérieur brut. Cette dynamique, largement portée par les innovations technologiques, le vieillissement de la population et la généralisation de certaines couvertures, fragilise les équilibres économiques des financeurs.
Dans ce contexte, les mutuelles affirment leur volonté de participer à l’effort collectif pour garantir un système de santé pérenne. Le recentrage des remboursements ne vise pas à réduire l’accès aux soins, mais à éviter une dérive des dépenses sur des postes jugés secondaires, afin de préserver ceux qui répondent à des besoins prioritaires.
Une coordination attendue avec les autres acteurs du secteur
La Mutualité Française n’est pas seule à porter ces orientations. Les assureurs privés, qui couvrent une part importante du marché des lunettes notamment, partagent en grande partie ce diagnostic. Une concertation est en cours pour définir des propositions communes qui pourraient être soumises au gouvernement dans les prochaines semaines.
L’exécutif, de son côté, devra arbitrer entre les impératifs de soutenabilité financière et les principes d’universalité et de solidarité qui fondent le modèle français. La place des complémentaires santé dans cette architecture mérite d’être clarifiée, notamment en ce qui concerne leur rôle dans la couverture des soins du quotidien.
Quels impacts pour les assurés et les professionnels ?
Pour les assurés, un allongement des délais de remboursement pourrait signifier une plus grande vigilance dans le choix du moment pour renouveler ses lunettes ou ses audioprothèses. Dans certains cas, cela pourrait représenter un reste à charge temporaire ou une adaptation dans le suivi visuel ou auditif.
Du côté des professionnels de santé, ces propositions suscitent des réactions contrastées. Si certains reconnaissent la nécessité d’une régulation, d’autres redoutent une baisse d’activité et une moindre fréquence de renouvellement, notamment dans le secteur des lunettes. Ces ajustements pourraient avoir des conséquences économiques pour les structures les plus fragiles.
Ce projet de révision des modalités de remboursement intervient à un moment où le système de santé français est soumis à de nombreuses tensions : sous-financement de l’hôpital, accès inégal aux soins, pénurie de professionnels dans certaines zones, et croissance des maladies chroniques. Dans ce contexte, les mutuelles cherchent à redéfinir leur périmètre d’intervention, dans un esprit de complémentarité avec l’assurance maladie obligatoire.