IA en santé : la France mise sur les données pour construire la médecine de demain

Aujourd’hui, l’intelligence artificielle s’invite dans les hôpitaux, les laboratoires, mais aussi dans les pratiques médicales quotidiennes. De la détection précoce d’une pathologie à l’organisation des parcours et des plannings de soins, elle promet des gains considérables. Pourtant, sa puissance repose sur un élément fondamental : la donnée de santé. Sans données fiables, riches et encadrées, l’IA en santé ne pourra pas devenir réalité.

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By Alice Léger Published on 22 avril 2025 14h09
Intelligence Artificielle Ia
IA en santé : la France mise sur les données pour construire la médecine de demain © Shutterstock

Alors que la France accélère sa stratégie du numérique en santé, comment s’organise-t-elle pour rendre concret le déploiement de l’IA en santé en France ?

IA en santé : des usages en plein essor

La France multiplie les projets intégrant l’intelligence artificielle dans les pratiques médicales. On peut citer par exemple les logiciels d’aide à la décision, avec notamment les ECG1 réalisés grâce à des outils connectés pour détecter des problèmes de rythme cardiaque et orienter vers un traitement. L’IA permet aujourd’hui une meilleure planification des soins en particulier grâce à des systèmes de décompte en temps réels du nombre de lits disponibles ou encore d’aide au tri des urgences. L’IA devient également aujourd’hui un outil de médecine personnalisée et prédictive, qui permet de modéliser l’évolution des maladies et prédire les risques, mais également d’aider au télésuivi et à la surveillance médicale grâce aux objets connectés et plateformes intelligentes, qui sont en mesure d’alerter automatiquement les soignants des évolutions des constantes des patients et de l’éventuelle dégradation de leur état de santé. Enfin, un usage plus administratif de l’IA en santé donne aujourd’hui la possibilité de mieux gérer les plannings médicaux.

Pour illustrer cette dynamique, des initiatives importantes ont vu le jour comme MEDITWIN, lancé fin 2023, qui permet de modéliser des organes et pathologies en utilisant de l’IA afin d’améliorer le diagnostic et la prise en charge médicale (technique des jumeaux numériques). On peut citer également HotelDieu Plateform, lancée en 2021, une plateforme de suivi de polypathologies à distance grâce aux données exhaustives relevées d’appareils connectés intégrant de l’IA comme des tensiomètres, balances connectées, capteurs de sommeil ou encore montres connectées, qui est née de la collaboration d’experts publics et privés et ambitionne de révolutionner la recherche clinique. Pour démocratiser l’IA générative2, le projet PARTAGES, projet ambitieux lancé en 2024, coordonné par le Health Data Hub et lauréat de France 2030, mobilise des laboratoires de recherches (du CNRS, de l’INRIA, ou de diverses universités), des entreprises de deep tech, 20 hôpitaux, 10 équipes de recherche, et des partenaires stratégiques tels que Mistral pour mettre l’IA générative au service des professionnels de santé, et ainsi permettre de gagner un temps médical précieux. Parmi ses usages on peut citer la transcription automatique des échanges en consultation, le résumé automatique des dossiers médicaux, l’assistance dans la décision clinique ou encore l’aide à la réalisation de tâches médico-administratives.

Par ailleurs, l'IA est utilisée pour améliorer la précision et la rapidité des diagnostics médicaux, notamment en matière d’imagerie médicale. La plateforme Incepto, fondée en 2018, propose par exemple aux médecins et aux hôpitaux des applications basées sur de l’IA permettant d’améliorer la qualité des diagnostics. Dans le domaine de la cancérologie, Incepto intègre notamment des données radiologiques et cliniques pour un diagnostic assisté par l’IA, et peut apporter des informations précieuses sur la stratification des risques et l’agressivité des tumeurs.

En France, la SASN (stratégie d’accélération « Santé numérique »), lancée en octobre 2021 dans le cadre de France 20303, soutient le développement de l’IA dans les technologies d’imagerie médicale à hauteur de 90 millions d’euros.

L’IA a également un rôle croissant dans la gestion des interactions médicamenteuses, un enjeu majeur pour la sécurité des patients et la qualité des soins. En effet, le groupe VIDAL a développé un algorithme dès 2020, qui, à l’aide d’un logiciel d’aide à la prescription, permet de mieux détecter et prévenir interactions médicamenteuses, et donc éviter les erreurs médicales.

Données de santé : le nerf de la guerre

L'efficacité des outils d’intelligence artificielle en santé dépend entièrement de la qualité, de la quantité et de l'accessibilité des données de santé utilisées pour entraîner les algorithmes et favoriser leur apprentissage. La donnée doit être structurée, accessible et interopérable pour être bien exploitée correctement et bénéficier d’une bonne traduction en milieu clinique4. En outre elle doit démontrer, pour être exploitée, la preuve d’un réel service médical rendu au patient.

Tout d’abord il convient de distinguer les données primaires des données secondaires de santé. Les données primaires sont celles générées au cours de la prise en charge médicale d’un patient ; ce sont les données contenues dans les comptes rendus médicaux, les résultats d’examens biologiques ou d’imagerie, les objets connectés utilisés dans le suivi, les dossiers médicaux partagés etc. Elles sont utilisées exclusivement dans le cadre du soin donc directement pour le diagnostic, le traitement et le suivi des patients. Leur disponibilité, leur structuration et leur interopérabilité sont donc cruciales pour que les outils d’IA s’intègrent harmonieusement dans les pratiques cliniques. D’autre part les données secondaires sont les données utilisées à des fins telles que la recherche scientifique, l'innovation, l'élaboration de politiques de santé publique, la surveillance des épidémies et crises sanitaires, les études médico-économiques et la réglementation.

A titre d’exemple, l’IA en santé révolutionne la recherche en génomique, en accélérant l’analyse des données génétiques et en ouvrant la voie à une médecine de précision et à des traitements personnalisés plus efficace, mais aussi aux thérapies géniques.

On peut également retenir un usage de l’IA dédié à la recherche épidémiologique, qui permet par exemple de détecter une concentration de certaines maladies dans des territoires donnés ou auprès de certaines populations.

Enjeux stratégiques : gouverner l’innovation

Adopté au niveau européen en mars 2025, le règlement EEDS 5 (Règlement de l’Espace Européen des données de santé) vise à garantir à chaque citoyen un accès facile et sécurisé à ses données, tout en facilitant leurs réutilisations à des fins de recherche, d’innovation et d’aide à l’élaboration des politiques publique dans tous les pays de l’UE. Il a pour ambition une interopérabilité entre les Etats membres, un accès transfrontalier aux données de santé, et une gouvernance harmonisée.

Pour la France, ce projet implique une adaptation importante de son système d’information de santé. Pour cette raison a été mise en place une gouvernance spécifique française via des Organismes d’Accès aux Données (ORAD), en coordination avec la Direction du Numérique en Santé (DNS), la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CNAM), l’Agence du Numérique en Santé (ANS,) le Health Data Hub, la Commission Nationale d’Informatique et des Libertés (CNIL). L’ORAD un acteur clé du Règlement sur l’Espace Européen des Données de Santé (EHDS). Il est chargé de superviser et encadrer l’accès aux données de santé à des fins secondaires, dans un cadre sécurisé et conforme au RGPD.

Une initiative nationale lancée en 2019, la plateforme du Heath Data Hub, a également été créé pour faciliter l'accès aux données de santé pour la recherche et l'innovation et​ permettre ainsi à des chercheurs et entreprises d’exploiter ces données, sous conditions, pour développer des algorithmes puissants au plus près des enjeux et réalités de la recherche clinique française.

Le développement de l’IA ne peut donc être laissé au seul marché. Il nécessite une gouvernance claire, la formation des professionnels de santé à l’usage de ces outils, l’acculturation des patients à ces nouvelles pratiques et le pilotage éthique, pour garantir un cadre éthique de confiance.

La stratégie française prévoit également la formation de 500 000 professionnels aux enjeux du numérique en santé, et mise sur une régulation exigeante, couplée à une ambition d’innovation forte.

Il y donc une promesse à incarner pour libérer le potentiel de l’IA, améliorer la prévention, personnaliser les traitements, prédire les complications, réduire les erreurs et fluidifier les parcours de soins. Une stratégie nationale d’envergure sera présentée avant l’été 2025, pour articuler tous ces enjeux et voir comment intégrer concrètement et harmonieusement les innovations dans les pratiques de soins. Pour ce faire, l’évaluation de l’impact en santé, de l’impact organisationnel et de l’impact médico-économique en matière d’IA constituent des enjeux stratégiques fondamentaux pour assoir la légitimité de l’IA en santé et les innovations qui en découlent. De même la structuration et l’interopérabilité des données, la souveraineté numérique ou encore un modèle de financement pérenne sont autant de défis à relever pour construire un écosystème de confiance.

En conclusion, l’IA en santé ne se développera qu’aussi loin que les données de santé le lui permettent. Structurer, sécuriser et encadrer leur usage, aussi bien primaire que secondaire, est la condition sine qua non d’une IA utile, éthique et efficace. La France, en articulant stratégie technologique et gouvernance des données, pose les jalons d’un modèle européen ambitieux. Mais la réussite de cette transition passera par un équilibre subtil entre innovation, éthique et protection des citoyens.

Sources :

1 Electrocardiogramme

2 IA qui s’appuie sur des modèles d’apprentissage profond (deep learning)

3France 2030 est un plan d'investissement stratégique lancé par le gouvernement français en 2021, doté de 54 milliards d'euros sur cinq ans, visant à transformer durablement l'économie française, dans les domaines industriels et technologiques notamment

4 Transformation des données brutes de santé (souvent complexes et hétérogènes) en informations cliniques utiles, exploitables et compréhensibles par les professionnels de santé.

5 Règlement relatif à l'Espace européen des données de santé (EEDS) : Règlement - UE - 2025/327 - EN - EUR-Lex

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Consultante en communication santé pour le compte d'associations de patients, d'institutions publiques, de laboratoires pharmaceutiques et de startups dans la e-santé. Spécialisée dans la e-santé, la numérisation du système de santé et l'intelligence artificielle en santé.

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