Des soignants, soutenus par des proches de professionnels décédés, ont engagé une procédure judiciaire visant plusieurs ministres. Cette initiative inédite relance le débat sur les conditions de travail à l’hôpital public et la responsabilité des décideurs politiques.
Hôpital : une vingtaine de soignants portent plainte contre trois ministres

Le 14 avril 2025, une plainte a été déposée devant la Cour de justice de la République à l’encontre de trois membres du gouvernement français : Catherine Vautrin, ministre de la Santé et du Travail, Élisabeth Borne, en charge de l’Enseignement supérieur, et Yannick Neuder, ministre délégué à la Santé. À l’origine de cette action judiciaire : dix-neuf plaignants, tous liés à l'hôpital, qui dénoncent les effets délétères de politiques de santé sur les conditions de travail et les drames humains qui en découlent.
Hôpital : les raisons d'une plainte hors norme
Les plaignants sont issus de différentes fonctions du système de santé : soignants en poste, praticiens hospitaliers, cadres administratifs ou encore familles de professionnels décédés. Leur plainte vise plusieurs infractions graves : harcèlement moral, homicide involontaire, violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et mise en danger délibérée d’autrui.
Au centre de leur démarche se trouve un constat partagé : une dégradation prolongée des conditions de travail dans les hôpitaux publics. Les signataires estiment que cette détérioration n’est pas seulement le fruit d’une accumulation de difficultés, mais le résultat de choix politiques répétés. Selon eux, les mesures successives prises depuis plus de dix ans, notamment en matière de rationalisation budgétaire, de réduction des effectifs ou de restructurations internes, ont entraîné un climat de tension constant et, dans certains cas, des situations personnelles insoutenables pour les professionnels de santé.
Un recours inédit à la jurisprudence France Télécom
Pour étayer leur argumentation, les plaignants, accompagnés de leur avocate, invoquent un précédent judiciaire emblématique : celui de France Télécom. En 2022, plusieurs dirigeants de l’entreprise avaient été condamnés pour harcèlement moral institutionnel. Le parallèle est ici assumé. Les plaignants estiment que des logiques de gestion comparables ont été appliquées dans l’hôpital public, avec des effets tout aussi délétères.
L’action judiciaire vise donc à faire reconnaître l’existence d’un harcèlement structurel et à établir une responsabilité pénale à un niveau politique. L’objectif, selon les initiateurs de la plainte, n’est pas de pointer des individus isolément, mais d’interroger la chaîne de décisions ayant contribué, selon eux, à aggraver la vulnérabilité psychologique des soignants.
Des cas de suicides à l’origine du signalement
L’un des éléments déclencheurs de cette plainte réside dans plusieurs drames survenus dans différents établissements hospitaliers français. Ces événements, survenus dans des hôpitaux situés notamment en Alsace, dans les Yvelines et à Béziers, sont cités dans le dossier. Ils ont été documentés comme survenus dans un contexte de surcharge chronique, de pressions hiérarchiques mal encadrées, ou de manque de soutien institutionnel.
Selon les plaignants, ces suicides ne peuvent plus être considérés comme des événements isolés. Ils relèveraient d’un schéma plus large, caractérisé par un affaiblissement du collectif professionnel, une montée du mal-être et un défaut persistant de réponse de la part des pouvoirs publics.
Un malaise généralisé à l’hôpital public
Au-delà des cas individuels, cette affaire remet au premier plan un débat ancien mais toujours d’actualité : celui de la santé mentale au travail dans les structures hospitalières. Depuis la crise sanitaire de 2020, les difficultés se sont accrues, sans pour autant que les solutions mises en œuvre ne répondent pleinement aux attentes des professionnels. Épuisement professionnel, sentiment d’abandon, désorganisation des services, démissions non remplacées : la réalité du terrain est complexe et diverse, mais elle nourrit un sentiment de lassitude généralisée.
Les plaignants évoquent également une forme d’impunité persistante dans le traitement des situations de souffrance, qu’elles soient signalées de manière individuelle ou via des dispositifs d’alerte internes. Le manque de réponses, ou leur lenteur, est interprété comme un désengagement de l’administration et un facteur aggravant pour les équipes concernées.
Quel avenir pour cette démarche ?
La plainte a été déposée devant la Cour de justice de la République, seule instance compétente pour juger les ministres dans l’exercice de leurs fonctions. À ce stade, la procédure en est à son stade initial : un filtre de recevabilité devra être franchi avant qu’une éventuelle instruction ne soit ouverte.
Du côté des autorités concernées, les réactions restent très limitées. L’entourage de la ministre de la Santé s’est abstenu de tout commentaire, tandis qu’aucune déclaration publique d’Élisabeth Borne n’a encore été enregistrée.
Quel que soit le devenir judiciaire de cette affaire, elle suscite déjà des interrogations importantes sur la gouvernance hospitalière, la protection des professionnels et la capacité du système de santé à prendre en charge sa propre souffrance institutionnelle. Si elle aboutit, cette plainte pourrait ouvrir la voie à une relecture complète des responsabilités dans le pilotage de la politique de santé publique.