Un geste aussi banal que se brosser les dents ou changer une couche devient aujourd’hui un luxe pour une part croissante de la population française. Une enquête récente révèle que l’hygiène, pilier de toute politique de santé publique, recule dangereusement dans les foyers modestes. En toile de fond : la précarité, la solitude, et un abandon silencieux des principes les plus élémentaires de prévention.
Hygiène : faute d’argent, 8% de Français renoncent au savon

Le 7 avril 2025, une enquête Ifop réalisée pour l’association Dons Solidaires a révélé que 47 % des Français déclarent avoir dû restreindre leurs achats de produits d’hygiène à cause de leurs contraintes budgétaires. En 2023, ce chiffre était de 34 %. En deux ans à peine, plus d’un tiers de la population supplémentaire a été contraint de faire l’impasse sur ce qui relève non pas du confort, mais de la préservation élémentaire de la santé.
L’hygiène sacrifiée : près d’un Français sur deux restreint ses achats pour raisons financières
S’il s’agissait de produits secondaires ou esthétiques, la situation serait déjà préoccupante. Mais il est ici question d’articles tels que savon, dentifrice, déodorant, protections hygiéniques, couches pour bébé, shampoing, lessive. En d'autres termes, de tous les dispositifs qui permettent à un individu de protéger son intégrité physique, sa dignité et celle de ses proches.
Et derrière les chiffres, ce sont des pratiques concrètes, souvent douloureuses, qui apparaissent : se laver moins souvent, réutiliser des protections menstruelles, diluer un flacon de shampoing, espacer les changes d’un nourrisson, nettoyer la maison sans aucun produit. Le tout dans le silence d’une société qui, en surface, continue de parler d’inclusion, de prévention, de santé pour tous.
Des conséquences sanitaires multiples et déjà visibles
Le renoncement à l’hygiène de base n’est pas sans conséquence. Les données de l’étude montrent que 9 % des répondants se brossent les dents sans dentifrice, et 15 % nettoient leur logement sans détergent. Dans les familles monoparentales, particulièrement exposées à la précarité, 35 % déclarent avoir dû choisir entre se nourrir et s’acheter des produits d’hygiène.
Ces comportements, imposés par la nécessité, exposent à une multitude de risques médicaux. Le manque d’hygiène bucco-dentaire favorise l’apparition de caries sévères, gingivites, parodontites, qui peuvent évoluer vers des complications systémiques, notamment cardiovasculaires. L’absence de nettoyage domestique favorise les mycoses, gales, proliférations bactériennes, en particulier dans les logements surpeuplés ou humides.
Le manque d’accès aux protections hygiéniques adaptées entraîne des risques d’infections uro-génitales, d’irritations chroniques, voire de syndrome de choc toxique, pathologie potentiellement mortelle liée à un usage prolongé de protections inadaptées.
Mais il y a aussi des conséquences psychosociales, plus diffuses mais tout aussi graves : honte, repli sur soi, non-recours aux soins, absentéisme scolaire ou professionnel, isolement social. Lorsque l’on ne peut plus se laver, se sentir propre, porter des vêtements frais, on évite les autres. Et peu à peu, on sort du champ du regard public. L’exclusion sociale passe d’abord par une peau qu’on cache.
Des récits de terrain glaçants, des dispositifs publics défaillants
Dans cette même enquête relayée par Le Parisien, les témoignages viennent donner chair aux statistiques. Comme celui de Sarah, auxiliaire de vie et diabétique, qui explique que les produits d’hygiène reçus par une association « lui ont changé la vie ».
Ces situations ne sont pas des exceptions. Elles traduisent un effondrement discret mais massif de l’accès à l’hygiène dans de nombreux foyers français. La hausse des prix, conjuguée à l’absence de politique publique ambitieuse sur cette question, creuse encore les inégalités.
D’après l’UFC-Que Choisir, les produits d’hygiène ont vu leur prix augmenter de 16 % en deux ans. Cette envolée est en partie liée à la loi Descrozaille, votée en mars 2024, qui a plafonné les promotions commerciales sur ces produits à -34 %. Une mesure censée protéger les fournisseurs, mais qui a bridé l’un des rares canaux d’accessibilité pour les foyers précaires. Le 8 avril 2025, les parlementaires débattront d’une éventuelle reconduction de cette loi. Mais dans les rayons, la réalité est déjà tranchée.
Urgence sanitaire : quelles réponses possibles ?
Dans un pays qui dispose d’un système de santé performant, il est paradoxal que l’accès à un savon ou à une brosse à dents devienne un enjeu. Pourtant, à ce jour, la question de l’hygiène de base n’est pas intégrée aux politiques nationales de prévention, ni à la sécurité sociale, ni à la stratégie de santé publique.
Des pistes existent. Certaines collectivités locales ont mis en place des distributions gratuites de produits d’hygiène dans les écoles, les centres sociaux ou les structures d’hébergement. Des associations militent pour des chèques hygiène, calqués sur le modèle des tickets restaurant. D’autres réclament une baisse ciblée de la TVA sur ces produits. Mais aucune mesure nationale structurante n’a encore été déployée.