Parmi les plus grands consommateurs d’antidépresseurs au monde, les Etats-Unis d’Amérique prennent la première place, en terme de pourcentage de population. Pourtant, l’efficacité du médicament est encore largement débattue.
Le problème n’est pas que l’on manque de recherches : plus de 150.000 occurrences dans le moteur de recherche pubmed ( moteur de recherche dédié aux publications scientifiques). Il semble plutôt qu’un tri soit opéré à la sortie des recherches : les études positives sont gardées, les négatives mises à la poubelle. Pas très objectif, ni scientifique tout ça. Et pourtant…
Du Tri Dans Les Recherches
En 2008, un groupe de chercheurs (Erick H. Turner & al., 2008) est arrivé à cette conclusion en établissant une méta-analyse de recherches sur les antidépresseurs enregistrées par l’administration américaine des nourritures et des médicaments (Food & Drug Administration) comme preuve pour approuver leur commercialisation. Les entreprises étaient censées soumettre tous les résultats, qu’elle qu’en soit l’issue.
Les chercheurs ont trouvé 74 études, comprenant plus de 12.500 patients, concernant l’approbation de médicaments entre 1987 et 2004. La moitié montraient un résultat “positif”, l’antidépresseur se montrant plus efficace qu’un placébo. L’autre moitié était négative. Mais ce que montrait la littérature publiée en donnait une toute autre image. En effet, presque toutes les études positives apparaissent, mais seulement trois des négatives apparaissent comme étant négatives. Vingt-deux n’ont jamais été publiées, onze ont été remaniées pour être publiées comme apparaissant positives. Ce qui s’appelle de la manipulation …
Et Pour L’Efficacité ?
La même année, une autre méta-analyse (Irving Kirsch et al., 2008) soulevait cette fois un autre problème : les chercheurs remettaient cette fois en question l’efficacité d’un antidépresseur. Ils se sont demandés si l’efficacité dans l’étude était liée au niveau de dépression des participants, ou à l’efficacité du médicament donné.
En fait, l’efficacité de l’antidépresseur s’est montrée limitée pour les dépressions modérées, et mineure pour les dépressions sévères. A nouveau, on appelle cela de la manipulation. Le message de ces deux études était que l’efficacité des anti-dépresseurs était sur-évaluée, et que leur bénéfice serait limité à de trop rares patients utilisant le médicament.
10 Ans Plus Tard…
Plus récemment, en février 2018, une étude particulièrement minutieuse vient mettre à jour ces informations. Andrea Cipriani et al. (2018) ont rassemblé cette fois des données de la littérature médicale, des agences de régulation et des registres internationaux, pour créer l’étude la plus exhaustive à ce jour. 21 antidépresseurs utilisés pour traiter les dépressions majeurs ont été analysé grâce à une technique de “réseau méta-analytique” pour comparer les traitements entre eux. Les chercheurs ont non seulement évalué si les médicaments fonctionnaient, mais aussi comment ils étaient supportés par les patients (critère d’acceptabilité). Ils ont trouvé 522 recherches, incluant plus de 116.000 participants.
• La ” Bonne” Nouvelle :
Tous les antidépresseurs se sont montrés plus efficaces que les placébos. Ils varient modérément en terme d’efficacité et d’acceptabilité. De plus, les études les plus petites n’ont pas de résultats différents des plus grandes études.
• Mais :
La grande majorité des études est financée par les industries pharmaceutiques. De ce fait, cette méta-analyse ne possède pas suffisamment de données issues d’études non financées par les industries pharmaceutiques pour pouvoir déterminer s’il existe une différence entre elles, ou pas. Un biais de “nouveauté” a aussi été signalé : les antidépresseurs ont semblé être plus efficaces et plus acceptables quand ils venaient d’arriver sur le marché, et perdre en efficacité et acceptabilité des années plus tard.
• La Mauvaise Nouvelle :
Même si certaines différences significatives sont apparues, l’ampleur de l’effet reste le plus souvent modeste. Les bénéfices ont été remarqué pour les personnes souffrant de dépression majeure, et spécialement à court terme. En d’autres termes, cette étude montre que lorsque les patients sont atteints de dépression majeure, le traitement avec antidépresseurs fonctionne pour améliorer leur état dans les deux premiers mois de traitement. Mais à cause du manque de données, nous ne savons pas bien comment les antidépresseurs fonctionnent avec les symptômes légers, et surtout quand les patients ont été traité pendant des mois voir des années auparavant. Ce qui, d’après les statistiques, représente un nombre considérable de gens.
Pour Conclure
Avec une si grande méta-analyse, contenant environ 10 fois plus d’informations qu’il y a 10 ans, plus de données non publiées et plus d’antidépresseurs évalués, on ne peut pas enlever aux chercheurs une volonté de mieux faire, de moins “manipuler” les résultats et d’optimiser leur évaluation de l’efficacité des antidépresseurs.
Mais même avec autant de données, de nombreuses questions restent sans réponses. Ce qui n’empêche pas ces médicaments d’être largement utilisés, et qu’aucune agence de régulation ne demande plus d’informations. Le principe de précaution de semble pas vraiment prioritaire. Si les patients veulent des réponses, ils auront probablement besoin d’exiger eux-mêmes des recherches. A quand des recherches indépendantes ? Bientôt j’espère.
Par Julien Baillet, d'après Aaron E. Carroll