Dans la construction, depuis quelques années, le bois connaît un regain d’intérêt manifeste. Selon ses promoteurs, de plus en plus nombreux, il serait paré de toutes les vertus. Sauf que… trop traité, il produit à l’intérieur des bâtiments des émanations toxiques mises en cause dans les phénomènes de pollution de l’air intérieur.
Coup de poker
En 2015, le président de la l’association Adivbois, Franck Mathis déclarait : « Il y a encore des freins culturels importants. Les réglementations sont adaptées depuis longtemps dans le bâtiment à des matériaux comme le béton ou la brique et le parpaing, elles doivent évoluer pour que le bois trouve sa place » (1). L’enjeu ? Conquérir le secteur tertiaire et le logement collectif, en plus de la maison individuelle. Peu de temps après le Carrefour international du bois à Nantes (2), salon professionnel réputé pour son espace « Prescription et construction - Techniques & Solutions Bois », force est de reconnaître que le lobbying a été efficace.
Aujourd’hui dans l’univers de la construction, le bois est paré de toutes les vertus : on le dit vivant, sain, écologique, résistant, économique, source de bien-être… Bref, il serait bon pour la santé. Honni soit qui mal y pense ! N’est-ce pas trop beau pour y croire ? Comme toujours, les idées fausses ont la vie dure.
Face aux arguments d’autorité assénés par les saintes cohortes de la filière bois, essayons de raison garder. En particulier sur un point, celui des pollutions chimiques à l’intérieur des bâtiments en bois. Chimiques. Oui, le mot est lâché.
Et quelques alertes et mises en garde commencent à être entendues au sujet du triple traitement, ignifuge, fongicide et insecticide, auquel sont soumis les bois de construction (pièces de charpente, panneaux, escaliers…), traitement effectué par pulvérisation, trempage ou en autoclave (très haute pression) dans le but de « garantir leur durée de vie » – autrement dit, en passant, sans ces traitements le bois ne tiendrait pas aussi bien et aussi longtemps qu’on le dit ... (3) Et encore, il ne sera même pas question ici des colles, vernis et peinture utilisés en finition.
Pour voir
Le Ministère de la Santé a déjà signalé les risques occasionnés pour les ouvriers concernés dans la phase de pulvérisation des fongicides et des insecticides : « En France, près de 800000 salariés sont exposés aux dangers des fongicides dans leur activité professionnelle » (4).
Mais il y a plus grave, ce sont les émanations toxiques à l’intérieur des bâtiments tout au long de leur vie : les fameux COV (composés organiques volatils). L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) n’y va pas par quatre chemins : « La plupart des substances chimiques utilisées composant les produits de traitement du bois sont dangereuses pour la santé. Les expositions importantes peuvent conduire à des intoxications aigues graves, les expositions chroniques – même à de faibles niveaux – peuvent entraîner des maladies » (5). Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) enfonce le clou : « Le traitement du bois (ignifuge, insecticide et fongicide) peut émettre des COV comme le formaldéhyde, une substance allergène et cancérigène » (6).
L’OQAI (Observatoire de la qualité de l’air intérieur) mène aussi régulièrement des études étude sur la concentration de COV dans l’air (hexaldéhyde, toluène, formaldéhyde…) selon les milieux : logements, écoles, établissements recevant du public, etc (7). C’est sans appel. Selon l’Observatoire, 10% des logements sont « multi-pollués », affichant de fortes concentrations de trois à huit des vingt composés mesurés, 15% étant « pollués », 30% « légèrement pollués » et 45% « peu pollués ».
Et l’institut technologique FCBA – celui-là même qui délivre le certificat CTB-A+ pour la qualité du bois – a publié récemment, en juin 2018, un guide pratique intitulé Protection et lutte contre les pathologies du bois dans le bâti, à l’attention des particuliers, pour les sensibiliser aux micro-organismes qui peuvent polluer les maisons (8).
Le dessous des cartes
Dans la foulée de la nouvelle réglementation votée en 2017 (la norme RBR2020 – Réglementation bâtiment responsable), les précautions de langage se multiplient dans les recommandations faites par les professionnels de la construction en bois. Toujours avec cette fichue manière de faire espérer des progrès scientifiques et techniques pour sauver la mise.
Mais voilà. Il demeure une vérité simple : la filière bois est sous perfusion de subventions publiques (9). Et face à cette manne, rien n’y fait pour l’instant. La question de la qualité de l’air dans les maisons et bureaux peine encore à toucher les consommateurs peu avertis qui, il est vrai, succombent à l’effet de mode du bois (qui possède quand même quelques atouts esthétiques) sans trop chercher à comprendre les avis d’experts, techniques et anxiogènes, sur les pollutions chimiques, lentes, invisibles et imperceptibles…
Ça prend du temps. Mais comme la vie ne se lasse jamais de nous emporter dans son inexorable balancier, gageons que le mouvement ne va pas tarder à se retourner. Pour la filière bois, est-ce que ça ne commencerait pas à sentir le sapin ? Affaire à suivre.
(1) https://www.usinenouvelle.com/article/la-construction-planche-de-salut-du-bois.N319241
(2) https://www.timbershow.com/
(3) https://www.zurbains.com/environnement/construction-la-durabilite-du-bois-est-loin-d-etre-eprouvee.html
(4) https://www.officiel-prevention.com/protections-collectives-organisation-ergonomie/risque-chimique/detail_dossier_CHSCT.php?rub=38&ssrub=69&dossid=529
(5) https://www.inrs.fr/media.html?refINRS=FAR%2039
(6) https://www.natura-sciences.com/sante/rbr-2020-batiment-materiau-sante.html
(7) https://www.oqai.fr/ObsAirInt.aspx?idarchitecture=182&item=183&indice=0
(8) https://www.lemoniteur.fr/article/un-guide-pratique-protection-et-lutte-contre-les-pathologies-du-bois-dans-le-bati-28828452
(9) https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-lobbying-de-la-filiere-bois-199614