Nous sommes face à un bouleversement profond de la médecine qui va prendre de l'ampleur avec l'irruption massive et rapide du numérique et le développement de la télémédecine. Nous devrons maîtriser la convergence du numérique, de la robotique et de l'intelligence artificielle et dans le domaine de la capture et du traitement des données, la France accuse un retard par rapport à des pays comme la Chine ou les Etats-Unis.
L'importance de la prévention face à la montée de risques notamment sanitaires et psychosociaux et les addictions devraient inciter la médecine du travail à empêcher prioritairement les gens d'aller mal avant d'être obligé de les soigner. A cet égard, en 15 ans, le nombre de salariés indemnisés par l'assurance maladie pour maladie professionnelle a augmenté de 7,5%.
En matière d'accidents du travail, la France se situe au 25 ème rang en Europe en terme d'accidentologie. Nous devons également apporter des solutions quant à l'absentéisme, le plus important en Europe, à part l'Espagne et l'Italie.
Pour apporter les meilleures réponses aux évolutions nécessaires et préserver la santé des salariés, il nous apparait donc comme une priorité de regrouper les SSTI (Services de Santé au Travail Interentreprises) afin que d'ici au 1er janvier 2022, tout service suive au moins 100 000 salariés, un chiffre modulable au niveau régional. Seul un tel regroupement permettra d'avoir les moyens humains et financiers pour mettre en place un logiciel métier unique avec des data consolidées au niveau régional ou national et des process uniformisés.
Les SSTI auraient une compétence régionale. Exit le système lourd des agréments territoriaux. L'organe régional prévu (au même titre que l'organe national) par le rapport Lecocq contracterait avec les SSTI sur des objectifs et des moyens.
La création d'un monopole semi-public serait une erreur : a-t-on jamais vu pareil organisme être disruptif et innovateur ! Le tarif imposé sans possibilité d'adaptation et l'urssafisation prévus par le rapport Lecocq seraient tout aussi néfastes. Les chefs d'entreprises des TPE/PME considéreraient ceci comme un nouvel impôt. Il faut laisser la négociation libre et permettre les appels d'offres donnant aux SSTI la liberté de proposer leurs tarifs et prestations à partir du moment où il existe une offre de services de base et le tarif correspondant.
L'appel d'offres, pratiqué par les grandes entreprises, préserve et stimule les facultés d'innovation et de réactivité des SSTI, loin du « confort » induit par un monopole semi étatique.
Le regroupement des SSTI permettrait également d'aller au-delà du Système National des Données de Santé (SNDS) existant, alimenté par les facturations, en traitant les questions relatives à l'état de santé des patients. Deux projets précis sont déjà lancés sur la cardiologie et la maladie de Parkinson. Malheureusement, la santé au travail n'est pas incluse faute pour la profession d'avoir anticipé ce sujet. Il en va de même pour le Dossier Médical Partagé.
Quant à la télémédecine, largement développée en libéral et dans certains hôpitaux, elle est à peine naissante au sein des SSTI, même si la crise sanitaire a favorisé l'appropriation par les médecins du travail de ces nouveaux outils. La création du logiciel métier unique en connectant les outils des médecins du travail (mémoire des consultations, points de vigilance, faculté pour le médecin d'un rendez-vous en présentiel, etc.) et en numérisant le dossier médical et les questionnaires de visite, ouvre largement le champ du progrès. L'amont de la visibilité deviendra pour la médecine du travail, comme pour beaucoup d'autres spécialités, un élément clé en synthétisant le passé médical du salarié et demain l'intervention de l'intelligence artificielle pour attirer l'attention des médecins sur les points de vigilance.
Enfin, pour revaloriser l'image, hélas, de la médecine du travail, il conviendrait de proposer aux internes en médecine des stages en SSTI pour qu'ils comprennent notre rôle aujourd'hui. Nous proposons également que les grandes écoles, les IUT, axés sur le management dispensent des cours sur la santé au travail pour informer et préparer leurs étudiants à leur rôle de manager.
En conclusion, le système actuel est-il satisfaisant et de légères améliorations seraient-elles suffisantes ? Ma réponse est clairement non et sur ce point, nous sommes d'accord avec le rapport Lecocq. Mais un système administré unique et l'absence de concurrence au profit d'une vision monopolistique ne peut être une solution. Nous croyons que la concurrence est un moteur essentiel du progrès. Par ailleurs, le management de proximité est absolument nécessaire pour convaincre les médecins et non médecins de la nécessité d'un changement très profond. Le cabinet du médecin du travail du futur doit être un lieu de partage, d'explication et de pédagogie pour entrainer le salarié vers les bonnes pratiques en matière de prévention.
Une révolution est nécessaire lorsque les intéressés, salariés et chefs d'entreprise s'interrogent à la fois sur la coût et l'efficacité du système actuel.
Le point clé est précisément de convaincre le chef d'entreprise et le salarié que la santé au travail n'est ni un impôt, ni une contrainte plus ou moins supportée mais qu'elle deviendra, moyennant ces réformes, un instrument de progrès et de progrès mesurables pour la santé et la qualité de vie du salarié mais aussi un contributeur aux résultats économiques de l'entreprise (baisse de l'absentéisme, baisse des accidents du travail, du stress, etc.)