Vaccination obligatoire en France : un recul historique pour comprendre le présent

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Par Fabrice Di Vizio Modifié le 24 décembre 2020 à 9h05
Vaccination Moitie Population France 1
90%Le vaccin de Pfizer et BioNTech contre la Covid-19 serait efficace à 90%.

Alors que la pandémie nous mène à découvrir un nouveau vaccin pour revenir enfin à une vie normale, les inquiétudes se multiplient et nombreux sont ceux qui voient en la loi un moyen de réguler cette question. Or, un recul historique permet de rappeler qu’il ne s’agit pas, au fond, d’une question légale.

Revenons aux débuts. L’établissement d’une politique vaccinale obligatoire en France s’est faite progressivement, et a commencé avec le vaccin contre la variole, que la France rend obligatoire pour les militaires en 1888, puis étend à l’entièreté de la population française en 1902. Cette première obligation est levée en 1984, quelques années après l’éradication du virus. Entre temps d’autres vaccins sont devenus obligatoires comme la diphtérie en 1938 (dès 1931 au service militaire), le tétanos en 1940, la tuberculose (BCG) en 1950 mais qui a été suspendu en 2007. Puis la poliomyélite en 1964.

Après un recul dans les années 1970 (le DTP seul étant alors obligatoire), la question est remise sur la table en 2016 par la ministre de la santé de l’époque, Marisol Touraine. Elle lance une concertation citoyenne sur le sujet dont ressort le besoin de rendre l’information plus transparente et les vaccins plus accessibles.

Mais le comité d’orientation, chargé de résumer les conclusions, propose alors, et en dehors de ses prérogatives, à la ministre de la santé Agnès Buzyn un élargissement de l’obligation vaccinale à 8 autres maladies. Ainsi une loi du 30 décembre 2017 modifie au nombre de 11 les vaccinations obligatoires, recensées à l’article 3111-2 du CSP, mesure en vigueur actuellement.

Toutefois, si ces obligations vaccinales sont admises en France, elles suscitent de nombreuses questions vis à vis du respect des droits fondamentaux.

A première vue, l’obligation vaccinale est susceptible d’entrer en contradiction avec des droits fondamentaux comme : l’intégrité du corps humain, le droit à la vie privée, la liberté de conscience, le droit à l’instruction, le droit à la vie familiale, dignité de la personne humaine. Qu’en disent les autorités juridiques ?

En 2014, la Cour de justice de l’Union européenne s’est estimée non compétente pour répondre à une question préjudicielle portant sur l’obligation vaccinale en Slovaquie.

La Cour européenne, a en revanche dû faire face à un large contentieux : il a été reproché aux politiques vaccinales, du fait de leur caractère coercitif, d’intenter à la liberté de conscience préservée par l’article 9 de la CESDH. Cependant, dans une décision de la CEDH en date du 15 janvier 1998, elle estime que : « L’obligation de se faire vacciner, de?s lors qu’elle s’applique a? tout le monde, quelles que soient les convictions des uns et des autres, ne constitue pas une ingérence dans l’exercice des libertés garanties par l’article 9 de la Convention ».

De nombreuses requêtes sont par ailleurs en cours d’examen devant la CEDH, comme la requête Vavr?ic?ka c. Re?publique tche?que (n° 47621/13) où des parents, en raison de leurs convictions religieuses, n’ont pas fait vacciner leur enfant (polio, hépatite B et tétanos) et ont été condamnés à une amende. De même pour la requête Skerlevska c. «l’ex-Re?publique yougoslave de Mace?doine». Ici c’est la sanction pécuniaire qui est contestée devant la CEDH.

Tout récemment, la Cour européenne des droits de l’homme s’est réunie en grande chambre le 1er juillet 2020 pour traiter de l’affaire Vavr?ic?ka et cinq autres requêtes contre la République tchèque. La décision n’a pas pour le moment été publiée.

En France, les juridictions ont également été saisies de ces questions. Par exemple, dans un arrêt du 26 novembre 2001, le Conseil d’Etat reconnait qu’il y a une atteinte limitée aux principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain, mais que cette dernière se justifie par la protection de la santé qui est aussi un principe garanti par le préambule de 1946.

Le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC du 20 mars 2015, considère à son tour que « il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé ; et ainsi déclare ces mesures conformes à la constitution. »

La balance bénéfice-risque est prise en compte par l’ANSM lorsqu’un médicament est mis sur le marché. Cependant il est possible de se poser la question de la reprise de ce critère par les autorités, juridictions, lorsqu’il s’agit d’imposer un vaccin.

Dans une Etude par Jean-Paul MARKUS professeur de droit public à l'université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines intitulée « Du vaccin obligatoire à l'obligation vaccinale » ce dernier considère que « le vaccin, en tant qu'outil de maintien de l'ordre public sanitaire, est lui-même source de trouble, même si ce trouble est moindre selon les médecins et le législateur que celui qu'occasionnerait une absence de vaccination : c'est la « balance bénéfice-risque » de l'article L. 1110-5 du Code de la santé publique, qu'on retrouve pour les médicaments et produits de santé ».

Cela n’empêche pas certains citoyens de se poser la question de l’opportunité de rendre obligatoire des vaccins pourtant controversés, comme c’est le cas de M. Serge Mathieu (sénateur) qui s’interroge sur le vaccin BCG (Question écrite n° 29426) ou de M. Philippe Armand Matin (député) (Question écrite n° 74258), auquel le Ministère de la Santé répond « Dans son avis du 11 juillet 2013, le haut comité de la santé publique (HCSP) estime que les données scientifiques disponibles à ce jour ne remettent pas en cause la sécurité des vaccins contenant de l'aluminium au regard de leur balance bénéfices-risques ».

L’histoire nous le montre : l’obligation vaccinale n’est pas une question de droit. Même si le droit, et la justice, constituent souvent d’excellents moyens pour comprendre les décisions prises, il ne faut pas les convoquer partout et pour tout, tel un alibi contre toute responsabilité. Dans le cas du vaccin obligatoire, le juridique ne vient qu’analyser la balance entre le risque et le bénéfice, du point juridique. Au-delà de cette question, il s’agit d’une pure question de politique sanitaire… et la politique, c’est une toute autre histoire.

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Fabrice Di Vizio est avocat spécialiste des professionnels de santé, plus particulièrement des médecins libéraux. Il a défendu les médecins dans des procès concernant leurs droits à la publicité ou encore dans des affaires médiatisées comme Subutex ou Médiator. Le site de son cabinet : https://www.cabinetdivizio.com/.

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